La sociologie au service de l'anthropologie de la santé,

le cas des patients Témoins de Jéhovah face au sang.

 

par Philippe Barbey, Focus sociologique, janvier 2014

 

Quand on étudie le traitement que les sociétés en général veulent appliquer au corps humain, à la fois d’une façon physique comme d’une manière symbolique, la sociologie rejoint l’anthropologie aux carrefours de ces deux disciplines. La socio-anthropologie analyse les faits sociaux, de l’individuel au collectif puis en pénétrant les champs de la réalité observable, du matériel à l’idéel, du physique aux représentations. [1]

 

La prise en compte du patient en tant qu’une personne porteuse d’un système de valeurs qui n’est pas celui de la majorité de la société dans laquelle elle vit devient alors impérative pour le choix d’un traitement. On sort là d’une anthropologie purement médicale uniquement penchée sur la seule étude du traitement social de désordres biologiques synonymes dans l’esprit du souffrant de désespoir et de mort.[2]

 

L’anthropologie de la santé à beaucoup à gagner à recouvrir les champs d’investigation sociologique surtout quand elle a à faire face à des cas épineux comme celui des Témoins de Jéhovah et de leur refus d’une pratique thérapeutique connue et répandue à savoir la transfusion de sang.

 

Les Témoins de Jéhovah se représentent comme un peuple dispersé sur la Terre. Ils se voient en route vers un monde nouveau, notre Terre débarrassée de la maladie et de la mort. Leur espérance se base sur un verset de la Bible, dans l’Apocalypse qu’ils se plaisent à citer très souvent.[3] Pour eux, partager leur foi judéo-chrétienne, c’est comme parler une langue propre. Leurs coutumes telles que celle de se rassembler trois fois par an pour un culte de masse sont inspirées de la Bible. Leur évangélisation domiciliaire veut suivre le modèle du Christ et des Apôtres. S’abstenir de tout sang est une pratique du christianisme primitif que l’on retrouve dans les lois juives de la Kasherout et dans l’Islam avec la seule consommation de viande Hallal. [4] Ils s’appellent entre eux frères et sœurs à la manière des premiers chrétiens.[5]

 

C’est sous cet angle sociologique que l’anthropologie de la santé devrait aborder le cas des Témoins de Jéhovah, comme celui d’un peuple non au sens de caractéristiques génétiques communes mais comme celui d'un peuple avec ses rites et ses coutumes, ses marqueurs anthropologiques symboliques communs, pour bien le comprendre et donc bien en soigner les individus le composant.

 

Philippe Barbey, sociologue, docteur de Paris 5 Descartes-Sorbonne, diplômé de sciences des religions de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes-EPHE.

 



[1] Jacques Hamel, La socio-anthropologie, un nouveau lien entre la sociologie et l’anthropologie, in Socio-Anthropologie, N°1, L’objet de la Socio-anthropologie, 1997.

[2] Claude Raynaut C., L’anthropologie de la santé, carrefour de questionnements : l’humain et le naturel, l’individuel et le social, in Santé et maladie : Questions contemporaines, N°3, Automne 2001.

[3] «  J’entendis alors une voix clamer, du trône : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé. » Alors, Celui qui siège sur le trône déclara : « Voici, je fais l’univers nouveau. » Puis il ajouta : « Écris : Ces paroles sont certaines et vraies. » », L’Apocalypse, chapitre 21, versets 3 à 5, La Bible de Jérusalem, Le cerf, Paris, 1984.

[4] Le premier Concile apostolique, tenu en 49 de notre ère à Jérusalem,  auquel les Témoins de Jéhovah obéissent conclut ses travaux ainsi : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas vous imposer d’autres charges que celle-ci, qui sont indispensables : vous abstenir des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées et des unions illégitimes. Vous ferez bien de vous en garder. Adieu. » Les Actes des Apôtres, chapitre 15, versets 28 et 29, La Bible de Jérusalem, Le cerf, Paris, 1984.

[5] Pour une étude scientifique exhaustive sur les Témoins de Jéhovah, lire Ph. Barbey, Les Témoins de Jéhovah – une analyse sociologique, Éditions ANRT, Villeneuve d’Ascq, 2011. http://www.diffusiontheses.fr/61119-these-de-barbey-philippe.html

 

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